Une obscurité cher payée
A chaque fois que l’électricité revient, toute la maisonnée jubile en chœur dans une ambiance digne de la Belle Epoque… Et ça se passe chez moi. Antananarivo, la ville des mille, au centre de Madagascar.
Mon timing était parfait. Et j’en étais fière. Je dirigeais les opérations à la seconde près. J’avais une organisation d’enfer. Seulement, il a suffi qu’un seul grain de sable entre dans le mécanisme pour que tout s’écroule. Et ce grain de sable s’appelait tout simplement une coupure d’électricité. Ou plutôt la « JIRAMA » (littéralement : Electricité et Eau de Madagascar).
Cela fait maintenant quatre heures, quatre bonnes heures que tout ce qui fonctionne à l’électricité s’est éteint. Tout a commencé avec ce calme étrange dans la maison: la machine à laver s’est arrêtée net, laissant tremper tout un lot de vêtements sales et mousseux. C’est le week-end. Et généralement, c’est le moment où on rattrape toutes les tâches non achevées durant la semaine, où on essaie de remplir au mieux son frigo quand on ne peut pas faire la navette au marché tous les jours, où on fait travailler son four un peu plus que tous les jours pour régaler sa famille, où… la suite est longue. Oui ! C’est ça, où père, mère et enfants, grand-père aussi, aiment se retrouver autour d’un bon film.
Mais ma plainte est bien insignifiante face à la souffrance quotidienne de personnes dont le gagne-pain dépend à 100% de l’électricité, comme ces femmes qui ouvrent leur salon de coiffure pour ne recevoir qu’un seul client dans une journée de 8 heures, ces jeunes qui ouvrent leur cybercafé pour la fermer dans l’heure qui suit, ou encore la commerçante qui fabrique elle-même ses yaourts et qui n’aura pas droit à sa recette du jour. En haut lieu, sont-ils au courant?
Le fournisseur principal d’électricité et d’eau de la Ville des Mille se noie déjà dans une bonne mare de scandales à répétition. Qu’espérer de lui ? Je ne vais pas m’étaler sur les causes et effets d’un gap financier s’élevant à 20 milliards d’Ariary par mois (oui, c’est bien de 6 millions d’euros dont on parle). Pour noyer leur indignation, mes voisins argumentent ironiquement que 78% de ceux qui habitent ce pays sont dans le milieu rural et ont donc toujours vécu sans électricité. « Pourquoi nous, citadins, ferons-nous exception ? » Tout être vivant est un système qui s’adapte, nous rappelle-t-on narquoisement.
Ma fierté de femme multitâche s’est abaissée au niveau de la mer. Je respire un bon coup et pour passer le temps, je m’applique à des travaux libres de la contrainte de l’énergie électrique, non sans pester un peu. Il ne restera plus qu’à se tourner vers l’énergie photovoltaïque en espérant que « Ingahibe Masoandro » (Grand Monsieur Soleil) réponde à l’appel… ou essayer de dénicher un livre intitulé « La Vie Quotidienne du Moyen-âge Pour Les Nuls », et on oubliera vite Google, YouTube et compagnie.
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